BEETHOVEN Sonate en Fa mineur Op. 2 N°1
1er mouvement : Allegro
Forme.
Cette pièce est de forme tripartite, de type « Allegro de Sonate » à deux thèmes.
L’exposition comporte un Thème A en Fa m (mes. 1 à 8), un pont qui va d’Ut mineur à la dominante de La b majeur (mes. 9 à 20), un groupe de thèmes B en La b M (mes. 21 à 48) dont B3 à caractère cadentiel (mes. 41 à 48).
Le développement (mes. 48 à 100) utilise d’abord A, puis B, enfin une longue pédale de dominante annonce la réexposition.
Dans la réexposition (mes.101 à fin) on retrouve le Thème A en Fa mineur (mes. 101 à 108), le pont, cette fois de Fa mineur à sa dominante Ut majeur (mes. 109 à 119) afin que le thème B soit ré-exposé au ton principal (Fa mineur / mes. 120 à 140). B3 lui aussi est dans le ton principal, ce qui lui confère un tout autre caractère. Il est suivi d’une coda en accords, très affirmatifs, fortissimo.
Description des éléments thématiques.
Ce premier thème ressemble étrangement à celui du final de la 40ème symphonie KV 550 de Mozart. Il peut se diviser en deux parties de quatre mesures : la première carrure viennoise peut se diviser en antécédent / conséquent (Fa m – dominante / dominante – Fa m). Ces deux phrases se caractérisent par une arcis en arpège et une thésis de rythme féminin brodée par un triolet de double-croches. Dans la deuxième carrure, l’arpège se contracte vers sa plus rapide expression : une simple appoggiature, laissant ainsi les deux phrases initiales se rapprocher et donner un sentiment d’accélération. L’accentuation nous renseigne sur le véritable accent expressif de ce thème qui se trouve à la mesure 7 ( fff) qui sera suivi d’une désinence et d’un rythme féminin orné par un tour de gosier (gruppetto).
Le pont commence par la première phrase de A en Ut mineur, puis utilise la broderie pour moduler en La b majeur. Mesure 15 avec sa levée apparait une formule de quatre degrés descendants qui deviendra une gamme de six degrés (de Mi b dominante de La b M vers Sol tierce de Mi b M). Cette cellule répétée avec instance par trois fois et qui semble hésiter entre Mi b et La b majeur préfigure le groupe B.
GROUPE B
Il est intéressant de noter que B1 procède exactement à l’inverse du thème A : ce dernier utilisait un arpège ascendant tandis que le B1 après la levée d’un demi-ton procède par mouvement descendant. Cet arpège aboutit également à un rythme féminin très expressif par la double appoggiature accentuée par un sf. La phrase initiale, installée sur la dominante de La b majeur (ton relatif) est répétée trois fois. Suit un mouvement ascendant, procédant par double broderie (inférieure et supérieure) puis une anacrouse par mouvement disjoint oscillant de Mi b à La b. Le mouvement ascendant reprend pour aboutir au deuxième élément caractéristique B2, présenté à la main gauche : un rythme en syncope procédant lui aussi par mouvement disjoint, répété trois fois, aboutissant à un arpège descendant se stabilisant sur La b majeur. B3 à caractère cadentiel est naturellement installé en La b majeur. Il utilise le saut de sixte de la contraction de A suivi encore d’un rythme féminin. Ces deux demi-phrases sont répétées là aussi par trois fois.
Tous ces éléments, quoique très différenciés, semblent donc être déjà en « gestation » dans le premier thème, ponctué d’ailleurs par un point d’orgue.
Description du développement.
Il commence par exploiter le thème A. Entre la première phrase, exposée en La b M et son conséquent à la dominante de Si b mineur, la contraction fait irruption. De même, mesure 54, suit la contraction des deux mesures précédentes. Installé dur la dominante par des batteries de Fa en octaves brisées, le thème B est exposé en Si b mineur. La remontée en double broderie est interrompue par un arrêt sur la dominante d’Ut mineur, afin de ré-exposer B1 en Ut mineur. La troisième redite de la phrase initiale est confiée cette fois à la main gauche. Suit une marche modulante sur cet élément, présenté sur la dominante de Si b puis sur celle de La b. L’élément syncopé B2 est ici partagé entre les deux mains. Certaines notes sont indiquées sforzando : elles renforcent le sentiment de marche harmonique, car il s’agit à chaque fois de la dominante puis de la tonique des tonalités successives. Mélodiquement, il s’agit des deuxièmes et troisièmes notes de la formule en syncope de B2. A partir de la mesure 81 l’harmonie se stabilise sur Ut majeur (dominante de Fa). Les intervalles de la main droite rappellent les crêtes du thème A : (Do-La b / mes. 2) ; (Fa-Mi bécarre / mes.8) ; (Do-Fa / mes. 7 à 8). Mesures 85 et suivantes, ces intervalles sont simplement ornés, jusqu’à ce que l’intervalle expressif de demi-ton (début de B1) devienne prépondérant. Après deux mesures de notes répétées en noires sur la note Ut, pianissimo (mes. 93 & 94) l’élément broderie, utilisé dans le pont réapparait avec sa même fonction modulante. Un crescendo de quatre mesures conduit à la réexposition.
Réexposition.
Le thème A est ré-exposé à l’identique sauf l’anacrouse initiale qui est sous-entendue dans le dernier accord du développement et les accords de la main gauche, mesures 105 à 108 qui deviennent autoritaires, sur le premier temps.
Le pont présente cette fois la première phrase de A en Fa mineur, module ensuite en Si b mineur, pour aboutir sur la dominante du ton principal (Ut majeur). C’est cette fonction harmonique qui nous assure qu’il s’agit bien du pont et non pas de la continuation du thème A comme nous aurions pu le croire dans l’exposition.
Le groupe B entre donc cette fois sur la dominante de Fa mineur pour être réexposé au ton principal. Cette tonalité mineure confère aux divers éléments de B un caractère plus pathétique, déjà entendu lors du développement, mais qui fait oublier maintenant son exposition en La b majeur. De même B3 subit l’éclairage nouveau de la tonalité mineure et ainsi toute la conclusion s’en trouve assombrie. La coda en accords fortissimo, nantis parfois de sforzandi, insiste encore sur le caractère violent de cette conclusion.
Modèle de rédaction de conclusion pour les élèves de 1° année
Langage Harmonique.
Le plan tonal est très classique.
EXPOSITION :
THEME A PONT GROUPE B B3
Fa m / Ut M (Vte) Ut m / La b M / Mi b M = (Vte de La b) Vte de La b / La b M La b M
DEVELOPPEMENT
La b M / Fa M (Vte de Si b m) / Si b m / Sol M = (Vte d’Ut m) / Ut m / La b M / Ut M = (Vte de Fa m)
REEXPOSITION :
THEME A PONT GROUPE B B3 CODA
Fa m / Ut M (Vte) Fa m / Si b m / Ut M =(Vte de Fa m) Vte de Fa m / Fa m Fa m Fa m
Les modulations procèdent toujours par l’utilisation de la dominante du ton suivant. Seule la mesure 9 utilise directement le ton homonyme. Les accords employés, septièmes d’espèce, neuvièmes de dominante mineures avec et sans fondamentales, accords de dominante sur pédale de tonique (triple appoggiature, mes. 47) renseignent sur la période de composition de cette pièce : fin de la période classique. Ou début de la période romantique.
Traitement instrumental.
Sans être d’une virtuosité excessive, l’écriture pianistique est néanmoins assez exigeante. Les accords très fournis, notamment ceux de la coda, renvoient plus à Beethoven qu’à Mozart.
Langage
L’accentuation est très contrastée : dès l’énoncé du premier thème on passe du piano au fortissimo en 6 mesures avec seulement deux sforzandi. Mesures 61 & 62 le crescendo aboutit à un forte-piano. Dans les mesures 73 à 79 les sforzandi isolés sur des notes disjointes laissent entrevoir un thème éclaté. La péroraison intervient fortissimo dans une coda « con espressione. » Ce discours est bien caractéristique de celui de Beethoven.
Conclusion.
Il s’agit bien de la première sonate de Ludwig Van Beethoven, jeune compositeur de vingt-cinq ans qui nous livre ici la première d’une série de 32 sonates, corpus le plus impressionnant du genre, dans lequel il explorera la forme dans de nombreuses directions, jusqu’aux monumentales N° 31 et 32 .
Pour sa première participation au genre, Beethoven affirme sa personnalité et son style grâce à un matériel thématique très resserré. Le développement est aussi très rigoureux et préfigure les dualités expressives des grandes sonates suivantes.
Pour un coup d'essai, c'est un coup de Maître et un modèle du genre!
Jean-Pierre Lecaudey