Praeludium e Fuga XX in a - 2nd Livre
BWV 889
Praeludium
Ce prélude en la mineur est un double renversable. Les éléments A et B alternent avec deux cellules C et D. Sur le plan harmonique, l’allure chromatique des éléments A et B confère à cette partition un caractère étrange et spéculatif. Bach ira de plus en plus dans cette direction vers la fin de sa vie.
Globalement les quatre éléments occupent une mesure entière avant de procéder à leur inversion. La technique du renversable est ici maniée avec une grande virtuosité d’écriture et d’invention. Voyez mesure 7 comme l’élément D (simple tétracorde ascendant) est orné pour imiter la tête de C avant inversion des voix au milieu de la mesure, cette fois. Cette première partie est assez claire à l’audition et présente le matériel thématique.
Dans la deuxième partie (page 2), le discours devient plus tendu : les éléments A , B et D sont présentés dans leur forme « Inversus » (renversement autour d’un axe horizontal / en mathématiques symétrie axiale), mais l’élément C (mes.19) est tout de suite orné sur sa tête. Il s’en suit que l’identification des cellules devient plus périlleuse à la simple audition.
Mes. 20, cette fois C est orné carrément avec la levée de A ! Cette variété de la tête de C nous mène à ne plus savoir qui va partir. Mes. 28, il transforme même D pour que nous le prenions pour B ! L’ornementation de la tête de C s’étend à toute la formule la rendant presque inidentifiable…
Il semble que Bach s’amuse à nous faire perdre le fil de sa partition dans un tourbillon de rencontres de notes d’où se dégage un grand sentiment d’instabilité harmonique. Nous retrouvons ce sentiment dans les quatre Duetti BWV 802 - 805 de la Dritter Theil der Clavierübung pour orgue. Ces duetti sont destinés à être joués pendant la Sainte Cène (Communion) et les deux voix en canon symbolisant la dualité du communiant après le mystère de la transsubstantiation.
Le quatrième en particulier s’en rapproche grandement. Notons que les œuvres sont quasi concomitantes (entre 1739 - 1742).
Pour finir nous retrouvons enfin les éléments A et B, d’abord dans leur forme inversus puis enfin en mouvement droit, non sans avoir paré B de la tête de A, afin de nous faire douter de la nature de la superposition : A sur B ou B sur A ?
Il s’agit d’un des préludes les plus élaborés du recueil.
Fuga
Nous sommes en présence d’une fugue en la mineur de Johann Sebastian Bach, à trois voix, en contrepoint triple.
- Le sujet se caractérise par deux sections distantes d’un temps et demi de silence ! Tout d’abord quatre noires en saut de tierce puis de septième diminuée ; dans la seconde section deux sauts de tierce mineure en croches. La coda du sujet est la diminution de la première section ! Tierce mineure puis septième majeure (sensible / tonique). Matériel thématique très resserré. La coda du sujet récapitule les intervalles de tierce puis cette fois de septième majeure.
- La réponse mute normalement en tête de sujet, puisque celui-ci commence par la dominante : ce qui est 5° dans le sujet devient 1° dans la réponse, puis tout ce qui suit appartient au ton de la dominante (mi mineur).
- Le conduit utilise les tierces de la queue du sujet, ponctuées d’un tétracorde ascendant puis descendant en triple croches.
- Le premier contre-sujet est très dynamique en triple croches : deux traits descendants de cinq notes, le deuxième nanti d’un rebond puis re-descente en marche, enfin un tremblement avec préparation et terminaison.
- Le deuxième C.S. se combine parfaitement avec le silence du corps du sujet et les deux descentes du premier C.S., simple ponctuation en croches disjointes complétant rythmiquement le premier C.S..
- Le premier épisode combine la queue du sujet avec les tétracordes ascendants et descendants du conduit, jusqu’à leur contraction sur une seule noire.
- Suit une nouvelle section en contrepoint triple, quatrième temps de la mes. 9 : Sujet en Ut à la basse, 1er C.S. au soprano, 2nd C.S. à l’alto.
- Le deuxième épisode combine la queue du sujet (tierces) avec cette fois le tremblement avec préparation et terminaison de la queue du 1er C.S. . Apparition d’une première fusée ascendante.
- Nouvelle section en contrepoint triple 2ème temps de la mes. 13.
- Le 3ème épisode « central » est écrit en contrepoint renversable sur la mes. 15. L’inversion des voix se produit exactement au centre de la fugue (14,5) symbolique notoire de la croix, accentuée par la tessiture très basse de la voix de basse. La mesure suivante fait apparaitre des gammes descendantes très rapides et enchainées.
- La section suivante en contrepoint triple est « subliminale » pour la première note du sujet au ton principal : mi n’est pas entendu, mais à sa place si, ré sur l’harmonie de dominante.
- Le quatrième épisode voit le tremblement avec préparation et terminaison être accompagné tout d’abord de la tête du 1er C.S. suivie d’un arpège de septième de dominante, puis d’une nouvelle cellule au caractère bondissant (ré do si do ré sol fa mi en marron), broderie des trois premières notes de la queue du sujet.
- La section en contrepoint triple suivante voit le 1er C.S. s’agiter par la présence de triple croches continues, qui déboucheront sur le 5ème épisode ; tout d’abord similaire au conduit mais avec cet accompagnement de triple croches, puis en agitation permanente à l’aide ces traits.
- L’ultime présentation du contrepoint triple s’accompagne cette fois d’un 1er C.S. devenu totalement instable avec des gammes descendantes et ascendantes répétées jusqu’au mi grave, puis cadence parfaite avec tierce picarde à l’aide de l’inversus de la queue du 1er C.S. .
L’œuvre présente des cellules très claires et très distinctes, qui évoluent vers de plus en plus d’agitation. Les épisodes donnent de plus en plus d’énergie, aboutissant à une cadence en la majeur toute lumineuse. Il s’agit d’une des œuvres de ce recueil les plus abouties sur le plan de l’invention dans le cadre pourtant rigoureux de la fugue en contrepoint triple.