Le tremblement tourné de Leopold MOZART
Leopold Mozart (Augsbourg 1719-Salzbourg 1787) musicien professionnel, violoniste, maître de chapelle à la cathédrale de Salzbourg et pédagogue réputé a publié l’année de la naissance de Wolfgang (1756) une méthode de violon intitulée Versuch einer gründlichen Violinschule 1. Cet ouvrage a connu un vif succès : en 1766, il est épuisé et Leopold procède à une seconde édition2 (1769).
Dans cette méthode, traduite en français3 en 1770, se trouve une troisième partie consacrée aux agréments.
Ce chapitre est d’une très grande importance pour la compréhension de l’ornementation usitée dans la musique de la fin du baroque. En effet il s’agit d’une description par un musicien, interprète de la musique de son temps, des règles d’ornementation en cours à cette période. Leopold est aussi compositeur, mais il semble se contenter des agréments qu’il connaît et ne pas en ajouter de personnels. La Méthode raisonnée pour apprendre à jouer du violon a pour but de maîtriser l’instrument, mais aussi de rendre l’élève capable de jouer à livre ouvert (déchiffrer) en rendant immédiatement le caractère et l’esprit d’une composition de 1750 donc de l’époque baroque. Ce chapitre insiste beaucoup sur la nécessité d’orner le texte musical proposé, qui ressemble parfois à un simple canevas qu’il convient de remplir. Quoique cet ouvrage ait vraisemblablement servi à Leopold pour l’enseignement du violon à son propre fils, il serait très dangereux de prendre toutes ces règles au pied de la lettre et de les appliquer à la musique de Wolfgang. L’examen de n’importe lequel des adagios de ce dernier nous assure qu’il ne manque pas beaucoup d’agréments et que l’ornementation considérable est notée avec une précision extrême. Il convient donc de ne pas considérer la musique de W. A. Mozart comme celle de son père ni comme celle d’un compositeur baroque. Néanmoins, il est clair que cette musique se situe à la charnière entre baroque et classique et que la règle d’orner les redites était encore en vigueur. Nous verrons ce qu’il est possible ou souhaitable de faire chez Wolfgang. L'objet de cet article est de s'attarder sur un ornement qui est passé inaperçu et qui est vital pour certaines pièces de Wolfgang : le tremblement tourné.
_________________________________________________
1 : MOZART, Leopold : Versuch einer gründlichen Violinschule, Augsburg, 1756.
2 : MOZART, Leopold : Versuch einer gründlichen Violinschule, Augsburg, 1766.
3 : MOZART, Leopold : Méthode raisonnée pour apprendre à jouer du violon, Valentin Roeser, Paris, 1770.
Voici la phrase en question :
Leopold est catégorique : tous les tremblements courts se font avec terminaison ! Et il donne un exemple sur des noires, ce qui n’est pas une valeur très courte. Nous avons vu que Wolfgang utilise le tr et pas la croix (+), afin d’indiquer qu’il l’entend par la note principale, sauf exceptions précisées ou obligatoires pour obéir aux règles de la “basse continue”. Ceci explique pourquoi il n’utilise pas un doublé dans les cas suivants, qui pourtant en sont très proches. Sur une note brève, on ne peut faire qu’un battement, c’est à dire qu’il s’agit presque d’un doublé, sauf que l’on commence par la note principale. Voici un premier exemple qui nous semble éminemment convaincant :
Voici un exemple dans lequel il utilise parfois des doublés, parfois des tremblements courts, qu’il convient de jouer “tournés”. Remarquez également les altérations accidentelles que le contexte harmonique oblige :
Et maintenant le trille court, réalisé en petites notes :
Remarquez ce qu'un doublé aurait signifié : il n'y a qu'une note de différence, mais quelle différence ! Avec le doublé, la deuxième croche n'a plus la même saveur, le poids des notes n'est plus le même. Le ré n'est plus passage, il prend énormément d'importance.
Rappel du bon ornement : tremblement tourné :
Voici maintenant un autre exemple assez célèbre pour lequel nous avons retrouvé une édition 35 (il y en a plusieurs) dans laquelle ce trille court a été remplacé par un doublé. C'est déjà bien mieux qu'un trille sans terminaison, mais appréciez par vous même la différence en répétant le sib...
_________________________________________________
35 : Wolfgang Amadeus MOZART, Sonates pour le piano, nouvelle Edition revue et doigtée par Carl Reinecke, Costalat & Cie, Leipzig, Breitkopf & Härtel, VA. 217, Paris, p. 135.
Un dernier exemple, très connu également, et dont le “tremblement tourné” change considérablement l’allure de cette phrase initiale. L’édition de Joseph Joachim36 (1831-1907) avait ajouté la terminaison en “toutes notes”, mais les nouvelles éditions “Urtext” depuis les années 1950 sont revenues à l’orthographe de Wolfgang à savoir un simple tr. En l’absence d’avertissement sur ces terminaisons la plupart des interprètes ont supprimé ces notes. Remarquez également que Joachim avait écrit le coulé “normal” mes. 48 en croches de taille normale. (J'ai expliqué ailleurs que la valeur des coulés en petites notes était toujours la bonne chez Wolfgang, sauf devant les notes répétées ou bien les silences...) Connaissait-il les règles en vigueur du temps de Mozart, a-t-il eu des renseignements de première main ? Toujours est-il qu’il avait vu juste et transformé l’orthographe de Mozart dans le sens d’une compréhension plus accessible pour ses contemporains. En revanche les coups d’archets nous paraissent plus discutables, mais l’instrument et l’archet se sont aussi considérablement transformés entre 1775 et 1905.
_________________________________________________
36 : W. A. MOZART, Concerto pour violon N° 5, revu par Joseph Joachim, Edition N. Simrock, 1905, p. 3
Tout d'abord trille simple sans terminaison
Nous espérons avec ces exemples avoir démontré l’importance des “tremblements tournés” comme les appelle Leopold. Parfois Wolfgang indique la terminaison, même sur des valeurs brèves, parfois il n’a manifestement pas la place ou bien il considère que c’est tellement nécessaire qu’il omet de préciser.
A la lueur de cette recommandation de Leopold, on peut rencontrer de nombreux exemples où cette terminaison est salvatrice... dans l'œuvre de J.S. Bach notamment...