BALLADE OP. 52 F.
Afin d’aider les étudiants et devant la difficulté à mémoriser cette partition, je vous propose tout d’abord l’Analyse de cette œuvre remarquable, à plus d’un titre, puis quelques remarques sur les différences que l’on rencontre au niveau de l’harmonie et qui sont justifiées par les règles de l’harmonie classique tonale. L’orthographe « pianistique » de Chopin et notamment l’usage de la pédale (voir les autres articles), nous indique aussi des subtilités qui sont lourdes de conséquences quant aux doigtés et aux gestes, notamment.
Voici en premier lieu le plan de cette œuvre :
INTRODUCTION (mes. 1 à 7)
THEME A (2 demi phrases : a, a’ – utilisées trois fois de suite) (mes 8 à 22) – Re-exposition du Th A orné (mes. 23 à 37).
DEVELOPPEMENT 1° partie (mes. 38 à 151)
– « Sommeil » (mes. 38 à 46) – Sortie du sommeil : développement de a’ par augmentation des intervalles (mes. 46 à 49), puis utilisation de la fin de a’ en imitations canoniques à la main droite (mes. 50 à 57).
– Utilisation de A avec apparition d’une ligne de double-croches qui va animer sérieusement le discours et donner un tout autre caractère au thème A (mes.58 à 80). Puis retour au calme sur un rythme croche / noire amenant Si b majeur et introduisant le thème B (mes. 80 à 84).
THEME B (mes. 84 à 99)
– La mélodie est exprimée deux fois de suite mais avec de petites variantes dans l’harmonie (mes. 84 à 92 puis 92 à 99).
DEVELOPPEMENT 2° partie (mes. 100 à 151)
– Transformations de la ligne contrapunctique apparue mes. 58 et suivantes (mes. 100 à119). Puis utilisation de la ligne du sommeil sous thème A puis de la formule introduction.
– Reprise de l’introduction, en La M, avec changement de plan tonal (mes.129 à 134).
– Reprise de a transformé, puis a’ , avec accompagnement en fugato sur l’imitation de a (mes. 135 à 145).
-Reprise de la fin du thème A (orné) pour terminer le développement.
REEXPOSITION (mes. 152 à 202)
– Réexposition du thème A (Fa m), encore plus orné, avec accompagnement volubile en double-croches (mes 152 à 168).
-Réexposition du thème B en Re b M ! (Sic), accompagné par des triolets de double-croches en gammes (mes 169 à 177). La deuxième phrase module vers une une codetta (mes 187 ) qui va s’enflammer de plus en plus pour aboutir à des formules en arpèges (directement issues de l’étude op. 25 N° 12), entrecoupé par des accords staccato et FF.
Mes. 203 à 210 : « œil du cyclone »
CODA (mes 211 à fin).

Cette introduction installe en fait la tonalité d’Ut majeur, qui servira évidemment de dominante au ton principal (Fa mineur), pour l’exposition du thème A. Dans la nouvelle édition Peters Urtext (N° 7531) on s’aperçoit que Chopin hésite beaucoup pour la pédalisation (différentes éditions). A mon avis il souhaite un maximum de clarté du chant, mais il convient de lier avec la pédale ce que les doigt ne peuvent pas faire aisément.
Voici une possibilité de doigtés, si votre main vous le permet.

Le thème A est construit sur deux demi-phrases (a et a’) qui formeront trois phrases. La première va de Fa mineur à La b Majeur. La deuxième propose a en La b majeur (relatif) se termine en Si b mineur, puis une nouvelle transposition de a’ en Re b M retourne en Si b mineur, pour réexposer a en Fa Majeur (Vte de Si b m). C’est très astucieux : les redites incessantes ancrent véritablement le thème A dans l’oreille de l’auditeur, tandis que le parcours tonal permet d’entendre la cellule a harmonisée en Fa m la première fois et en Fa M dans la troisième phrase ! Attention à la petite subtilité mes. 14, la sixième croche propose un accord qui ne double pas le Fa b cette fois. Observez bien qu’au milieu de a le Re b est noire tandis qu’à la fin de a on arrive sur un silence.

Suit une réexposition du thème A mais orné. Les différences sont entourées en rouge. Mes. 25 l’accord deuxième croche m.g. ne double plus le Fa pour cause de fausse relation à distance d’octave avec le Fa b de passage à la basse. Petite subtilité mes. 26, changement de position des notes de l’accord de septième de dominante. Dernière subtilité, mes. 35, le Fa est une octave plus bas que dans l’exposition.

Pour l’interprétation de ce passage : la grande difficulté c’est d’obtenir le mezza voce demandé (à mi-voix) et dans le tempo (in tempo) c’est à dire l’Andante con moto initial. La m.g. est souvent trop forte car relativement chargée. Il me semble que le point au dessus des premières et troisièmes croches de la m.g. indiquent qu’il ne faut pas s’attarder sur les basses pour être placé le plus tôt possible sur l’accord de trois sons suivant et jouer en relevant. Si l’on s’appuie sur la note du haut on peut aussi jouer commodément l’accord suivant en relevant… il n’y a plus de problèmes pour jouer pianissimo.

DEVELOPPEMENT – 1° Partie
Je n’ai pas encore osé apparenter cette Ballade à une forme ; dans la forme sonate, on s’attend ici à rencontrer soit un pont, soit le deuxième thème. Nous verrons que le deuxième thème apparaît plus tard, au milieu du développement. Je me suis permis d’appeler ce passage un « Sommeil » car, musicalement, c’est exactement le caractère de certains interludes d’opéra baroque (Atys de Lully par exemple). Je ne confère pas à ces deux phrases répétées deux fois (une longue et une courte pour finir) le rang de thème, car nous verrons qu’elles ne serviront qu’à alimenter le développement en contrepoint avec le thème A et l’autre ligne de contrepoint qui se superpose au thème A juste après (PG 5 en bleu). Elle s’apparente quelque peu à a avec ses intervalles de quarte et de seconde…
Cette sortie du « sommeil » (mes. 46) se fait par l’utilisation de a’ avec transformation de sa queue : développement par augmentation des intervalles. Puis questions / réponses dans la m.d. (mes. 50 à 52) sur la queue de a’, toujours… Après deux supplications sur les doubles de a’, reprise de la fin de la deuxième phrase du thème A comme dans l’exposition (en Si b m), mais avec une suspension dramatique sur le Sol b (ten.).

Le développement va prendre une direction toute différente à partir de la mes.58. Une ligne de double faisant la part belle aux appogiatures et aux notes répétées, puis aux notes conjointes avec un bel intervalle disjoint et expressif entre les deux, va alimenter le discours et lui donner une force irrépressible. Ce passage préfigure la violence qui va se déchaîner à la fin de l’œuvre. Chopin nous avait charmé jusqu’ici par une atmosphère certes douloureuse mais tranquille, dans le style d’un Nocturne, avec un accompagnement harmonique très simple (basse posée puis deux accords pour donner l’harmonie -remarquable au passage…). Tout autre est l’atmosphère de ce passage qui va aller crescendo jusqu’à l’explosion de puissance des mes. 70 et 71. Là, une modulation très surprenante va nous mener vers une petite coda virtuose, avant de calmer l’atmosphère jusqu’à l’apparition du Thème B (mes. 84). Il sera d’ailleurs amené par un rythme ternaire, lui permettant d’entrer très discrètement dans la narration.


Le Thème B est énoncé deux fois. La seconde renouvelant l’harmonie qui supporte cette mélodie. Il se compose de deux demi-phrase (b + b’ puis b ») et se déroule sur deux carrures viennoises. Le balancement du rythme ternaire est structurel de ce thème ainsi que les notes répétées. Comme je l’ai dit plus haut, le thème est astucieusement introduit par le petit pont modulant qui présente déjà ces caractéristiques. La tonalité majeure et la douceur de ce thème tranche franchement avec le ton plutôt douloureux de l’œuvre jusqu’ici. C’est le principe de l’opposition des thèmes dans la forme sonate. Mais le plan tonal n’est pas respecté ; un deuxième thème est normalement entendu au relatif majeur, La b M en l’occurrence… Notez la suspension du temps à la mesure 97 : allongement de la valeur associé au rit.
