Les octaves jouées legato Etude op. 25 N° 10 de F. Chopin

Cette étude est certainement l’une des plus représentatives du rapport de Chopin avec le piano ; en effet les doigtés qu’il a préconisés nous obligent à aborder le clavier d’une manière très particulière, très éloignée du jeu strepitoso que les compositeurs ultérieurs recommanderont souvent…

Dès le début, il précise l’utilisation du 4° sur les touches noires et du 5° sur les touches blanches. Puis du 3° doigt afin de pouvoir utiliser par la suite le 4° puis le 5° : c’est manifestement pour jouer lié !

(pour plus de commodité j’ai entouré en vert ces troisièmes doigts / comme précédemment, les doigtés en italique sont ceux imprimés d’après les indications de Chopin).

Notez la nuance p sous-entendue par l’indication  poco a poco cre-scen-do et la liaison qui englobe tout le système et l’absence d’indications de pédales…. (elle n’interviendra que dans la partie centrale mes. 35 et seulement lorsque la main ne pourra pas tenir la basse) :

Le système suivant est encore plus édifiant : mes. 5 Chopin demande de jouer si re si avec 5 2 1 à la main gauche ! (pour la main droite il ne précise pas, cela tombe sous la main – sous le sens…) C’est véritablement inconfortable ! La seule raison est donc de pouvoir tenir la valeur blanche de ce re pendant les six croches jouées en octaves ! Et c’est là que le rapport au clavier est saisissant : cette tenue ancre la main et oblige un jeu souple et un léger mouvement de tiroir. Le son ne peut absolument plus être agressif ! Il me semble que toute cette étude concourt à obliger le pianiste à réfléchir sur le son produit par le jeu en octaves ! Notez les doigtés de la main gauche mes. 5 et 6 qui confirment tout cela :

Le système suivant est un peu plus disert en indications de doigtés, seuls les 2 5 de la main droite mes. 7 nous indiquent qu’il s’agit de continuer dans le même esprit. Néanmoins cela est très périlleux : à la main gauche mes. 9, tenir le sib jusqu’au bout oblige le 3° à la 6ème croche et toutes les mains ne le peuvent pas ! C’est peut-être la retenue légendaire de l’auteur qui s’interdit de préconiser l’impossible…

Notez l’absence de liaison à la main gauche sur les deuxièmes parties de mesure…

Le système suivant est encore très instructif : remarquez les doigtés demandés à la main droite mes. 11 au deuxième temps. 5 4 5 eurent été bien plus commodes ; mais dans ce cas il aurait fallu sauter le 5° entre mi et mi # ! C’est donc bien de legato absolu qu’il s’agit.

Remarquez également le glissé du 4° mesure 12 à la main droite !

Pour terminer cette première partie voici les doigtés imprimés pour les déplacements : les essayer c’est définitivement les adopter ! On a un sentiment de sécurité bien plus grand et surtout le son n’est pas le même !

Je suis un peu gêné mes. 26 à la main gauche par le 5° qui contredit sa logique précédente, mais à l’usage il tombe bien aussi, surtout au passage similaire mes. 27 une octave plus haut !

Voici maintenant le passage central. L’indication est claire : ben legato. Le doigté de la main droite mes. 32 est contredit à la mes. 40 alors que c’est la redite. Personnellement je préfère celui de la mes. 40…

Remarquez la blanche à la main gauche mes. 33 : c’est elle qui rend le la # de la main droite expressif… Reste le problème de la pédale : il ne la précise qu’à la mesure 35. Il me semble qu’il faut essayer de s’en passer le plus possible, mais que sur les pianos d’aujourd’hui une très légère pédale, lorsque les doigts ne peuvent tenir, s’impose…

Voici la mes. 35, évidemment la pédale s’impose pour tenir la basse… Chopin précise tellement la pédale et de manière redondante dans sa musique, qu’il me semble vouloir ici s’en passer au maximum. L’idée directrice étant de lier les octaves ; si l’on se sert de la pédale cela devient presque inutile…

Voici l’indice « grave et concordant » qui justifie l’absence de pédale : observez le doigté de la main gauche mes. 47 : c’est véritablement un doigté d’organiste ! Qui par définition ne peut pas s’aider de la pédale pour lier vu qu’il n’y en a pas ! (ceci dit je m’en sers quand même un peu… la limite étant que même en liant parfaitement le dessus des octaves, les pouces sautent toujours un peu et cela s’entend si l’on ne mouille pas un peu avec la pédale…)

C’est ici que le jeu hyper legato de Chopin est le plus sensible. Le 3 puis 2 5 de la mes. 52 à la main droite laisse perplexe à première vue ! (j’avais d’ailleurs supprimé le 3 dans un premier temps. Puis l’indication du 2° doigt un peu plus loin mes. 54 m’a remis en mémoire une utilisation similaire et assez incroyable du 2° doigt pour deux notes consécutives, de blanche à noire ! En effet le doigté de la partie supérieure oblige le 2°…

C’est Maître Dominique Merlet que me l’a fait remarquer dans la Ballade op. 53 en fa mineur :

Il est vrai que terminer sur le sib avec un pouce n’est pas satisfaisant ; personnellement je terminais pouce puis second…

Le diminué est incomparable…

Il me semble que c’est bien de cela qu’il s’agit ici : jouer la touche avec le bord extérieur du second mes. 52 et adopter le même mouvement pour la mesure 54.

Observez maintenant les doigtés de la main gauche : Mes 54 aller mettre le 5° sur le mi pour le rejouer par un 4° juste après ne se comprend que si l’on s’appuie sur les autres doigts donc si l’on adopte un jeu legato comme Brahms nous l’enseigne dans ses 51 exercices…

Mes. 56, pareillement, indiquer le second sur le la bécarre ne se justifie que si l’on remplace le 5° en 4° à la basse (re# qui devient mi b).

Bref : legato legato

Ultime précision de Chopin pour cette partie centrale : trois enchaînements de la main gauche en legato absolu ! (Mes. 81, 83 et 84). C’est absolument incomparable ! Evidemment il ne faut surtout pas masquer ces détails par de la pédale !

Pour terminer la preuve par neuf de tout ce que l’on vient d’observer : les doigtés de la main droite mes. 113 et surtout main gauche mes. 114  et suivantes ! Le crescendo vers le il più forte possibile est doigté de manière à s’appuyer au fond des touches et non pas staccato de l’avant bras ! Le 5° mes 114 sur le sol # ne s’entend que pour doigter le saut mi # re qui suit 4 / 5 symétriquement avec la main droite. Tout est pensé !

Avec tous mes vœux de bon travail, un énorme merci à notre Frédéric préféré pour son enseignement si précieux. Quel dommage qu’il soit mort avant d’écrire sa méthode de piano que tous ses élèves le suppliaient de rédiger… Néanmoins en observant avec attention les indications qu’il distille au long de ses études, il est assez aisé de comprendre ce qu’il souhaitait.