BWV 846 - Fuga I In C Dur – 1er Livre
Un petit mot sur ce célèbre prélude, immortalisé par Charles Gounod…. il s’agit d’un clin d’œil aux préludes de clavecin non mesurés de la musique française. Il était prudent de préluder avant de commencer sa « suitte », afin de vérifier l’accord.
Bach ne manque pas d’humour car, compte tenu de ce qui va suivre, les modulations aux tons voisins d’Ut majeur qu’il nous propose, ne permettent absolument pas de vérifier quoi que ce soit pour les intervalles très osés qui seront nécessaires pour les tonalités très chargées en # ou en b….
C’est même très sage…


Pour la première fugue du recueil, J.S. Bach nous propose un modèle assez incroyable de toutes les possibilités d’entrées rapprochées. C’est un véritable feu d’artifice de strettes. Ce qui est aussi très intéressant, c’est qu’il commence par rompre avec le premier code de la Fugue, celui d’exposer les voix dans l’alternance Sujet / Réponse / Sujet / Réponse.
Il s’agit donc bien, à mon sens, d’un manifeste de contrepoint (voir l’introduction), qui nous enseigne que la musique doit toujours primer, alors que Bach nous paraît très scrupuleux sur l’exactitude des intervalles (miroirs, rétrogrades, augmentations etc.)
En effet, le Sujet en Ut majeur commençant par la tonique, d’ambitus restreint, ne touche pas de manière significative à la note de la dominante (sol). Il se termine sur la médiante (mi) et la Réponse, réelle, se terminera donc par un si. Il sera donc très incommode de faire à nouveau entrer le Sujet sur Ut.
Un conduit sera nécessaire pour revenir en Ut majeur. Voici le conduit le plus naturel, exploitant à nouveau la Coda du Sujet (en l’occurence, Coda de la Réponse) :

C’est musicalement très répétitif et inintéressant. De plus le tétracorde descendant nous amène naturellement vers un si bémol et donc un fa majeur en contradiction avec le plan tonal de la fugue jusqu’à sa quatrième entrée. Comme la Coda du Sujet a été composée pour compléter parfaitement l’entrée de la Réponse, Bach nous montre qu’il vaut mieux s’affranchir de l’alternance S / R / S et faire entrer une deuxième réponse. Mais tant qu’à faire en l’accompagnant par l’inversus de cette Coda pour éviter la répétition ! Voici une première leçon pleine de promesses…

Le sujet étant très court et stable harmoniquement, la quatrième entrée nous mènera vers fa majeur, afin d’éviter la monotonie engendrée par l’alternance Tonique / Dominante énoncée quatre fois.
Dès la fin de l’exposition, Bach nous présente une première strette à 2 et à la noire (S/ R), puis une 7ème entrée. Vient ensuite une nouvelle strette à deux voix et à la noire (mes. 10 et 11 ; Sujet en sol M / Réponse en re M). Enfin un Sujet en mi M terminera cette première partie. Cadence parfaite en la mineur entre mes. 13 et 14 ; point central de la fugue.
Le festival de strettes va commencer : une série de deux strettes à 4 voix et à la noire puis à la blanche, deux par deux. Mes. 19 strette à 2 voix (S en la m / R en mi). Une 6° strette voit le « comes » répondre sur la médiante !
Enfin strette finale mes. 24, à 3 et à la blanche puis noire sur pédale de tonique. Remarquez les deux contractions du Sujet fin de la mes. 26 et 27.
Par ailleurs, la quasi intégralité des passages libres utilise le tétracorde (ascendant ou descendant) directement issu du Sujet, dans lequel il est présenté clairement deux fois : une en croches et l’autre en double. Nous retrouvons ceci dans la fugue pour orgue BWV 547…
(voir l’analyse dans les grandes pièces pour orgue).
Il est difficile de prendre position sur la poétique de ce recueil ; en revanche le caractère des tonalité les plus usitées dans d’autres corpus (œuvres pour orgue, Cantates etc…), nous permettent de remarquer l’utilisation de certaines formules, dont nous avons montré qu’elles étaient très chargées symboliquement (voir Passacaille : descente du Christ, Liens de la mort, etc…)
Il me semble que ce premier diptyque est empreint du caractère des pièces de Noël ( BWV 545, 547 / Cantate Sie werden aus Saba alle kommen BWV 65)
Pour une première contribution dans ce recueil, Bach s’engage manifestement et résolument dans la musique contemporaine ! Il s’agit, pour lui, d’apporter quelque chose de nouveau en regard du style de ses prédécesseurs. Pour l’étudiant débutant dans ses études de fugue c’est juste un peu déstabilisant, peut-être… Mais pour se rassurer nous avons aujourd’hui le fugue d’école…
Pour mémoire une fugue en CORPS et STRETTO est organisée de la manière suivante :
CORPS : EXPOSITION puis épisode (s) de divertissement ( Nouvelle entrée éventuellement).
POINT CENTRAL (affirmation d’une cadence au milieu de l’œuvre)
STRETTO : Succession de différentes strettes allant en général vers un resserrement des entrées.
Ici, BACH conserve le point central, mais fait apparaître immédiatement une strette après l’exposition (mes. 7).
Voici avec l’aide des différentes couleurs les éléments détaillés de cette composition. Rappel du code couleur pour cette première fugue :
Sujet : jaune
Réponse : orange
Contre-sujet : bleu (non utilisé par la suite)
Coda du Sujet : rouge
Vert = inversus du motif (miroir horizontal)
Hampes coloriées seulement = utilisation de la cellule
Pour une meilleure compréhension de la fugue lire l’article « Vocabulaire de la Fugue »

