BWV 854 – Fuga IX in E Dur – 1er Livre
Nous sommes en présence d’une fugue en mi majeur BWV 854 à trois voix extraite du Premier livre du Clavier bien tempéré de J.S. Bach.
Analyse de l’exposition :
Il s’agit d’une fugue-strette ! En effet J.S. Bach n’attend pas la fin du sujet pour faire entrer la réponse, ni d’ailleurs la totalité de la réponse pour faire entendre la troisième entrée. La réponse est réelle.
La comparaison entre ces trois premières entrées nous conforte dans l’opinion que le sujet se termine sur le ré # de la mesure 3 ; le sextacorde ascendant suivi de sa broderie n’étant pas exposé après la réponse sera donc la coda du sujet. La suite de l’analyse de la partition nous le démontrera encore. A la place Bach redouble la formule queue du sujet après la Réponse.
Contre la troisième entrée, Bach nous présente deux formules assez caractéristiques pour aiguiser notre attention : compte tenu de leur complémentarité rythmique, nous serions bien tenté d’y voir deux contre-sujet. Le premier, tétracorde ascendant en doubles, puis valeur longue, sensible tonique en si majeur au soprano / Le second : Saut de quarte puis re-descente conjointe à l’alto.
Nous rencontrerons le second orné mesure 17, puis son utilisation mesure suivante. Quant au premier il ré-apparaitra mesure 28 mais avec transformation de sa levée et anticipé dans le temps.
Ce ne sont pas les éléments thématiques qu’il utilisera fréquemment dans cette fugue.
Une mesure et demie de conduit 5 1/2 et 6 nous mène vers une contre-exposition des trois entrées, la troisième étant légèrement retardée par rapport à l’exposition et, du coup, transformée en réponse. Notons qu’il tronque la queue du sujet, mais conserve la coda.
Suit une nouvelle mesure de conduit (mes. 11) pour moduler vers Ut # mineur. L’entrée mesure 12 est modifiée rythmiquement pour se fondre dans le discours précédent.
Un premier épisode mesure 14, 15 et début de 16, utilise les formules queue du sujet et coda du sujet sur une basse continue modulante en croches.
Une nouvelle entrée en Ut # mineur coïncide avec le point central de la fugue. Une belle cadence parfaite en Ut # mineur nous le confirme. Ce sujet voit ré-apparaître le second contre-sujet brodé.
Cette deuxième partie se poursuit par un nouveau groupe de trois entrées en strette (Sujet / Réponse / Sujet). Au contraire de la ré-exposition il resserre encore plus que dans l’exposition la troisième entrée, ce qui l’amène à modifier quelque peu sa réponse en transposant la queue et la coda. Une illusion de quatrième entrée se produit levée de la mesure 22 à la basse : fausse entrée.
Un nouvel épisode 23 1/2, sur deux mesures utilise les mêmes éléments que le premier, pour nous ramener en mi majeur pour une dernière exposition du sujet au ton principal.
Les trois dernières mesures peuvent être considérées comme le dernier épisode utilisant la queue du sujet, puis le 1 C.S. varié et la coda du sujet sur une ultime entrée de la tête de la réponse.
Bach poursuit dans cette neuvième fugue son catalogue de toutes les possibilités d’élaboration d’une fugue : après la première qui exposait les sujets / réponses dans un ordre inhabituel (S /R/ R/ S), puis jouait à superposer les sujets et réponses dans un resserrement croissant, la seconde et la troisième en contrepoint triple, la quatrième sur un sujet de type palestrinien avec force contresujets, la cinquième dans le style français, la sixième avec grande utilisation du sujet en miroir, etc, voici maintenant un exemple rare de fugue-strette. Ce projet l’oblige à prendre quelques licenses avec son sujet, mais nous fait montre d’une grande virtuosité d’écriture sur le plan harmonique pour varier ces superpositions. Comme d’accoutumé, lorsqu’il le souhaite, Bach confère à cette pièce un caractère fluide et ininterrompu. Ce qui est toujours incroyable chez lui, c’est que le caractère de la tonalité, ici mi majeur, transpire dans la composition. Cette idée solaire s’accompagne, tant dans le prélude que dans la fugue, d’une joie contenue communicative.

