BWV 538 – Toccata e Fuga in d
Cette fugue est à 4 voix. Elle est improprement qualifiée de « Dorienne » pour la distinguer de l’autre Toccata & Fugue en ré mineur BWV 565 dite la « célèbre ». En réalité l’échelle utilisée est le mode de la. Il conviendrait donc de la qualifier de Fugue du 2° ton ecclésiastique ou bien fugue « éolienne ». Pour éclairer l’imprécision des qualificatifs grecs des échelles, lire L’Imbroglio des modes de Jacques Chailley – Leduc Paris 1960
Elle se divise en quatre parties sensiblement égales :
- mes. 1 à 42 incluse : Exposition + 1° épisode
(Exposition : Sujet, Réponse, Conduit, Sujet, 2° conduit, Réponse, 1° épisode) - mes. 43 à 100 incluse : Contre-exposition + 4° épisode
( Réponse, 2° épisode, Sujet, 3° épisode, Réponse, Conduit, Sujet, 4° épisode) - mes. 101 à 166 incluse : Stretto
(1ère strette à 2 voix et à la ronde au relatif, 5° épisode, Réponse du relatif (Ut),
6° épisode, 2ème strette à 2 voix et à la ronde à la sous-dominante, 7° épisode, Sujet en si b M, 8° épisode) - mes. 167 à 222 : Stretto final
(3ème strette à 2 voix et à la ronde au ton principal, 9° épisode, Réponse, 10° épisode, 4ème strette à 2 voix et à la ronde, 11° épisode)
Voici tout d’abord le plan de l’œuvre :

Le sujet, de type palestrinien, est très sobre : simple gamme ascendante puis descendante avec sauts de quarte dans la montée, et syncopes dans la descente.

Le premier contre-sujet donnera donc naturellement une vie rythmique qui manquait au sujet , avec un rythme en anapeste ; formule conjointe et broderie puis saut d’octave. Formule caractéristique en croches dans le corps de ce contre-sujet.

Quant au second, il commence par une broderie inférieure du ré, puis il est identique au sujet sur sa deuxième mesure ! (Ceci empêchera son utilisation lors des passages en strette). Il se termine également par une formule caractéristique en croches (tierces).

Tous les conduits et les épisodes (à l’exception du 10°) sont construit sur l’élément E issu du 1° C.S. (augmentation de la première note) :

La superposition de ces trois éléments constitue un ensemble très remarquable, mais le rappel systématique de ceux-ci dans des passages rigoureux en contrepoint triple serait devenu lassant compte tenu des proportions importantes de la pièce. Au contraire les C.S. 1 et 2 sont en constante évolution, tout en utilisant la plupart du temps des formules déjà entendues, conférant à l’ensemble une grande continuité.
L’exposition et la contre-exposition ne s’éloignent pas du mode de la ; il s’en suit un sentiment de grande stabilité. Celle-ci sera rompue par la première strette en fa majeur, qui donne un nouvel élan à la pièce.
L’apparition de l’élément chromatique amène un sentiment d’inquiétude, qui va aller grandissant, notamment dans le 8° épisode, jusqu’au retour du ton principal, autre point névralgique de l’œuvre.
Voici la partition coloriée; l’élément E va prendre de plus en plus d’importance, dans des épisodes qui eux-mêmes deviennent de plus en plus long. Cet élément va devenir prépondérant, surtout dans son utilisation en strette et le sujet, normalement élément principal de la fugue, devient presque un faire valoir de cet élément. Notez la tension du discours lors de l’utilisation de l’élément chromatique et notamment pendant le 10° épisode qui précède le retour au ton principal.
Le dernier épisode est une véritable strette sur élément E, couronnant la pièce d’un ultime contrepoint imitatif d’une grande rigueur. La rigueur de l’écriture, c’est certainement le qualificatif qui correspond le mieux à ce chef-d’œuvre.
Après une Toccata brillante et virtuose, cette fugue impose une grande sérénité qui se double d’une direction implacable et nous mène vers une péroraison finale très dramatique. L’émotion est à son comble, à l’aide des grands accords et du plenum de l’instrument à tuyaux, puissance digne des grandes marées d’équinoxe.









