Le pincé chez Boyvin
Pour vous donner l’eau à la bouche : Grand Plein-Jeu à 5 parties, I Livre IV° Ton
Orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux (Grand Plein-Jeu de 32 pieds) (Août 2005)
Suite du son plus bas après les explications…
Pendant de nombreuses années, la seule édition disponible pour les œuvres de Jacques Boyvin (c. 1649 ou 1653 ou 1655 – 30 juin 1706) était celle de la Collection l’Astrée chez Heugel.
Le grave défaut que l’on peut lui imputer, c’est de n’avoir pas reproduit, dans le premier livre, de manière lisible l' »Avis au public », traditionnel à cette période, qui explique non seulement le « meslange des jeux », mais surtout l’explication « Des Agréments ». Ce premier livre d’orgue a été publié en 1690. (Le second le sera en 1700, accompagné aussi de la ré-édition du premier).
C’est le pincé qui pose problème ! Mais suivons l’ordre d’apparition des divers agréments….
Voici, extrait de cette préface au premier livre, le paragraphe sur les « Agréments » au clair :
Des Agréments
La cadence ou tremblement se doit faire long, selon la notte & le temps ou on l’applique, On le fait ordinairement en descendant, on le commence a la notte d’audessus
(Raison utilise dans son livre d’orgue (1688) des signes plus ou moins long pour indiquer approximativement le nombre de battements selon la durée de la note)
Demonstration

Le pincement se fait Court, ordinairement en montant, & commance a la notte d’Audessous, on le doit affecter, c’est à dire le preparer tarder sur la notte d’audessous cela adjoutte beaucoup a la propreté du chant, la notte d’audessous qui le precede doit occuper la moitié de la notte sur la quelle il tombe & cette notte quoyque dissonante doit frapper contre la basse

Déjà il y a un problème ; le second exemple est incompréhensible… Voici ce que le graveur aurait du proposer à mon sens ; Boyvin souhaite montrer que même sur une valeur brève on doit aussi commencer par le port de voix :

C’est ici une précision d’importance pour l’interprétation des œuvres de Jacques Boyvin : il nous indique clairement que le signe du pincé s’entend systématiquement avec le port de voix ! Or, lorsque l’on interprète sa musique, cela n’est pas possible ! Bien des cas sont insupportables avec un port de voix.
En 1700, pour son Second Livre d’Orgue, il précise cette fois le port de voix par une virgule avant le signe du pincé ! Et le signe du pincé devient une + dans la table ! Pas dans la musique ! Est-ce bien lui qui a rédigé la table ou bien le graveur a-t-il pris une initiative? Il semble ainsi se ranger à l’usage de ses contemporains, Jean-Henri D’Anglebert et François Couperin par exemple, de préciser le port de voix lorsqu’ils le souhaitent.

Là encore le deuxième pincé n’est pas explicité en toutes notes ! je crois qu’il faut comprendre l’oubli simple de la croix sur le re. Cela donne un pincé avec port de voix puis le suivant sans et enfin le dernier avec.
C’est assez déroutant à première vue, car il faudra attendre dans ce livre II le Duo du 2. Ton pour voir apparaître deux pincés nantis de cette virgule ! Avouez que pour quelqu’un qui nous annonce dix ans plus tôt qu’il faut systématiquement pratiquer le port de voix appuyé devant le signe du pincé, c’est apparemment un retournement complet !

Remarquez en passant la différence d’écriture entre la cellule initiale et sa redite. L’inégalité n’est plus indiquée et le port de voix non plus… A mon sens Boyvin précise sur les deux première mesures qu’il souhaite un jeu pointé car il est contredit par la signature en C barré qui, pour un Duo, pourrait s’entendre viste et égal…
En fait la lumière nous viendra par son élève Gaspard Corrette qui, dans son livre d’orgue « Messe du 8° Ton, pour l’Orgue » (1703), indique de manière quelque peu laconique la même chose que son maître (toujours vivant) Boyvin en 1690.
« Le Pincé se fait, ordinairement en montant par degré conjoint et par intervalle, quelque fois en descendant, Mais quand le pincé vient par intervalle, il faut le commencer directement a la notte ou il est placé. » Sous entendu lorsqu’il est conjoint et en montant il faut le commencer par la « notte d’audessous » ! Et l’exemple imprimé ne montre que l’exception !
Préface de Gaspard Corrette 1703

En appelant un peu la Psychologie, on comprend que Gaspard Corrette ne peut pas contredire son Maître qu’il côtoie certainement presque tous les jours à Rouen. Mais pourquoi sous-entendre en creux que le pincé s’entend la plupart du temps avec son port de voix, alors que son maître a viré sa cuti dans sa préface de 1700 ! ? C’est à mon avis que Boyvin continuait de jouer communément le pincé avec le port de voix appuyé la plupart du temps. La preuve nous vient par la statistique. Dans son Second livre d’Orgue Boyvin ne précise quasiment jamais le port de voix devant le pincé par une virgule, quoique la table explicite qu’il faut l’écrire si on le souhaite. Les rares exemples sont toujours devant une blanche. Je crois qu’il continue à entendre communément le pincé avec le port de voix et ne précise que les très longs.
A l’inverse le camarade Corrette avance à pas feutrés sur le sujet comme nous l’avons vu dans sa préface, mais en fait précise quasiment tous les ports de voix qu’il souhaite ! J’ai essayé d’ajouter le port de voix aux pincés qui en sont dépourvus, c’est quasiment toujours impossible.
Décidément ces normands nous inclinent à penser qu’ils pratiquaient déjà le « ptet bin qu’oui, ptet bin qu’non » ! (Je précise ici pour m’éviter des commentaires facheux que ma famille est originaire des environs de Carentan…)
En résumé, je crois qu’il faut « ajouter » chez Boyvin Livre II les ports de voix lorsque la mélodie est ascendante et conjointe et que le tempo le permet. Pour le premier livre on le peut quasiment toujours, donc en accord avec sa profession de foi initiale ! Avec les restrictions de Corrette : lorsque le pincé arrive sur une note distante (par intervalle) on doit le frapper « directement a la notte ou il est placé« . Donc sans port de voix.
C’est assez désagréable qu’il ait été trahi d’abord par son graveur par des exemple imprécis, puis qu’il n’assume pas entièrement sa position. Il faut donc essayer systématiquement avec ou sans…
Exemple : Tierce en Taille, I Livre IV° Ton / Orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux (Août 2005)


2° Exemple : Dialogue de Récits, et de Trio (Trompette de Récit / Jeu de Tierce du Pos.)
Sainte-Croix de Bordeaux (Août 2005)

Voici pour être exhaustif la suite des agréments, mais ceux-là ne posent pas de problèmes 🙂

Signifie quand cest en montant de la notte precedente
C’est la « Tierce coulée » habituelle
Plus intéressant le « port de voix » indiqué par une croix + que l’on appellera « coulé », que Boyvin explicite comme une appogiature sur le temps, alors que nombre de ses contemporains et même succésseurs joueront avant le temps dans l’exemple qu’il donne ! Il s’agit véritablement de ce qui sera dénommé « coulé de tierce » et qui s’entend avant le temps ! (Voir Carl Philipp Emanuel Bach qui s’en plaint en 1756…)
Le port de voix se marque ainsi + il faut faire un petit coup sur la notte d’ou l’on vient qui est ordinairement en descendant, il faut que cette notte soit etoufée, c’est à dire ne guerre tenir dessus, mais il faut quelle frappe directement contre la basse

Attention au « tour de gosier » ou « gruppetto » comme on le nomme aujourd’hui : il commence chez Boyvin par la note où il est placé et non par la note supérieure. Il le nomme « Double Cadence ».

Enfin les arpègements : il précise qu’on en fait pas beaucoup à l’orgue, mais en propose quand même plusieurs ! Le premier est le plus intéressant : remplacer l’arpègement par un tremblement de la note la plus basse de l’accord.
« On ne fait guerre d’Arpegement sur l’orgue on fait plus tost un petit tremblement a la notte d’audessous«

Bon travail avec Boyvin, c’est un compositeur remarquable et je ne dis pas cela car c’est un compatriote…