Musique française pré-classique

Guillaume Gabriel NIVERS (Paris vers 1632-Paris 30 nov. 1714) a été élève de Chambonnières2 et de Du Mont2 il devient un organiste renommé. En 1654, il est nommé titulaire de l’orgue de l’église Saint-Sulpice1 jusqu’en 17142. Il a été chargé par Louis XIV, responsable de la musique d’église en charge de la révision du Plain Chant. Si vous me passez l’expression il n’y est pas allé de main morte. Tout ce qui était étranger aux modes nouvellement redéfinis, toutes les fioritures ou ornements, il supprime. Il faudra attendre le début du XXe siècle et les travaux des moines de Solesmes pour revenir peu à peu vers un état précédent du chant grégorien. Dans son Premier Livre d’Orgue (1665), le premier article de la préface s’intitule « Des Huict tons de L’Eglise » ! Selon Titelouze il y en avait 12. C’est un acte militant pour expliquer sa nouvelle théorie et l’imposer. Ce qui nous occupe dans cet article, c’est son style propre d’ornementation. En effet beaucoup d’interprètes jouent toute la musique ancienne française dans le goût de Couperin ou d’Anglebert, ce qui est plus tardif, mais surtout erroné. Le plus embêtant, c’est que Nivers, le « Patron » était encore en vie et très respecté au début du XVIIIe siècle. D’où deux problèmes à gérer :

  1. : Les adeptes du style nouveau (D’Anglebert, Couperin, Clérambault,…) sont obligés de préciser dans leur table d’ornement ce qu’ils entendent par leurs signes, mais aussi de préciser (contrarier) par des liaisons dans le texte musical, ce qu’ils souhaitent lorsque ceci contredit l’habitude et notamment le style prépondérant de Nivers.
  2. : Même chez les auteurs précités, il y a parfois des réminiscences de ce style ! Exemple les Cantates Françoises de L.N. Clérambault (Paris 1710)

Voici tout d’abord la table des ornements que Nivers nous propose :

Nivers ne propose que trois agréments :

  1. : l’Agrément : il s’agit de faire battre la note principale avec le degré inférieur, en commençant par le degré inférieur. C’est l’ancêtre de ce que D’Anglebert et Couperin appelleront Port de voix et pincé, sauf que le port de voix n’est ici pas appuyé. Attention le signe est presque le même que celui du tremblement (une barre de moins, un peu plus « mou », mais surtout imprimé sous la note).
  2. : la Cadence : c’est tout simplement ce qui sera nommé un tremblement (battre avec le degré supérieur). Notez qu’il commence par la note supérieure (en Allemagne et en Italie on ne trille pas encore par la note supérieure!) et est explicité avec plusieurs battements.
  3.  : la Double cadence : le nom deviendra tremblement avec terminaison. Il nous montre la terminaison vers le haut et vers le bas.

Après tout un paragraphe pour tenter de nous expliquer comment jouer certaines notes liées… voici l’une des choses les plus importantes. Dans l’exemple il demande expressément de lier la dernière double avant la longue (blanche). Et dans le deuxième exemple donc, de séparer les deux doubles. Encore plus éloquent le troisième exemple oblige donc de considérer la première double croche comme accent inférieur, accolé au tremblement précédent, puis d’articuler entre les deux doubles pour obtenir donc un port de voix avant le temps. Séparer les doubles ! Dans un sens comme dans l’autre. Deuxième exemple cela donne donc un accent supérieur accolé au tremblement précédent puis idem port de voix avant le temps. C’est ce qui est caractéristique du style « pré-classique » comme l’appelle Jean Saint-Arroman. Voilà qui est très étranger au style « classique » de François Couperin par exemple ! Et pourtant parfois nous le rencontrerons notamment chez De Grigny, Couperin et même Clérambault qui pourtant nous indique justement presque toujours par des liaisons qu’il ne veut justement pas cela.

Le problème avec Nivers, c’est qu’il n’y a pas ces petites « rayes » dans le texte musical… Il l’explique seulement dans son « Avertissement ».

Dans les livres d’orgue les compositeurs organistes s’adressent à des collègues, « éloignez » certes, des provinciaux qui n’ont pas l’heur de pouvoir entendre les « grands maîtres parisiens », mais à des confrères quand même. Seuls les meilleurs clavecinistes avaient la responsabilité de faire entendre les orgues à l’office. Il faut avoir ceci à l’esprit pour comprendre qu’on ne fait pas l’affront de préciser ce qui tombe sous le sens ! D’où une orthographe musicale bien moins précise et scolaire que pour les méthodes de clavecin à venir. J’emprunte volontiers à mon confrère suisse Nicolas Gorenstein le terme de « flemmite notatoire » pour faire entendre que, ce qui est évident, on ne le note pas. Surtout que le graveur travaille avec des poinçons dans le cuivre et à l’envers ! Un coup malheureux et la faute est immortalisée, sinon il faut refaire toute la plaque… Ceci pour expliquer l’absence de précisions superflues.

Heureusement avec la musique vocale nous avons les syllabes qui obligent l’articulation, mais aussi l’habitude de séparer les hampes pour le confort visuel du chanteur ! Voilà qui va nous éclairer grandement :

Commençons par les deux doubles séparées puisque nous en étions là :

Exemple A : c’est la formule qui sera la plus difficile à cerner dans les pièces pour orgue car les hampes ne seront pas séparées comme ici et les liaisons rares ! (Nous verrons que c’est plutôt lorsque les auteurs ne voudront plus cela qu’ils préciseront le contraire avec une liaison).

Voici l’exemple en « toute notes » : (les deux premières font partie du système précédent avec la syllabe sti)

En B : exemple de port de voix avant le temps

En C : exemple de tremblement lié commençant avant le temps (ne pas rebattre le fa).

En D : exemple de liés par deux puis fa double croche du « ti » et tremblement par la note supérieure (à nouveau fa) pour « a ».

En E : accent écrit en croche ().

J’ai essayé de noter en orthographe contemporaine toutes les notes. La lecture devient beaucoup plus complexe ! C’est la démonstration de l’utilité des signes d’agréments. Autre difficulté le rythme n’a plus la souplesse requise, même en essayant de l’écrire au plus près. L’inégalité des croches ce n’est pas croche pointée/ double, c’est trop). Remarquez certaines inégalités que je pense nécessaire, particulièrement les silences pointés ou les doubles points qui n’existent pas à cette période. Je n’ai rencontré qu’un seul double point, dans une pièce de Louis Couperin, mais ne pouvant pas consulter le manuscrit (Oldham), je reste circonspect…

Cette habitude de séparer les doubles est très répandue à la fin du XVIIe siècle en France. André Raison se servira exceptionnellement de la liaison pour le préciser : premier cas il s’agit de préciser un coulé avant le temps et de ne pas confondre avec une chute mi / si puis fa / do :

Elevation de la Messe du Huictiesme ton (Livre d’Orgue 1688)