Trille italien tr tremblement français w :
deux orthographes pour indiquer la même chose ?
Contrairement à ce qui est annoncé dans de nombreuses préfaces des éditions des œuvres de Johann Sebastian Bach, et pas des moindres, j’ai toujours pensé que c’était une insulte à l’intelligence, que d’envisager que des compositeurs de la stature de Bach ou Mozart, pour ne citer qu’eux, puissent utiliser simultanément deux signes d’ornementation différents pour signifier la même chose ! Pire, les utiliser indifféremment, sans discernement. Cela est absurde. En revanche, il est clair que nous sommes parfois très chagrinés de voir notre raisonnement contrarié par quelques exemples à première vue contradictoires. L’objet de l’article sur les ornements dans l’œuvre de Johannes Brahms visait à prouver qu’il adoptait la même distinction à un siècle de distance. Compte tenu du nombre très faible d’agréments que Brahms utilise, ce n’est manifestement pas lui qui a inventé cette différence. Je vais commencer par montrer quelques exemples qui vont prouver que, lorsqu’ils sont utilisés dans la même œuvre, ces deux signes nous invitent à distinguer le trille qui commence par la note principale (tr), de celui qui commence par la note supérieure (w).
Voici le Prélude en mi mineur du Clavier Bien Tempéré – 1er Livre BWV 855. J’ai isolé les mesures qui présentent des trilles :

Dans ce premier cas, Bach utilise un tremblement français. Il était très au fait de la musique française de son temps. Pendant ses années d’apprentissage, à Lunebourg, il a recopié l’intégralité du Premier Livre d’Orgue de Nicolas De Grigny ainsi que des pièces de Jean-Henry D’Anglebert. L’usage était de commencer le tremblement par la note supérieure. Les tables d’ornements sont explicites sur ce point. D’ailleurs J.S. Bach lui-même, dans son « Explication », indique clairement la même chose pour le tremblement. Cette explication est un peu sommaire et destinée à un tout jeune homme, son fils Willem Friedemann – un peu sommaire, car, nous le verrons plus tard, il utilise bien plus d’agréments dans son œuvre. Carl Philipp Emmanuel louera les « Français » pour le soin qu’ils ont apporté à leurs signes d’agréments et à leur variété, en 1756, dans son « Essai sur la vrai manière de jouer des instruments à clavier ». Au passage, il se plaint du fait que, même les clavecinistes de son temps, ne savent plus les distinguer ! Ce n’est manifestement pas le cas de son père…
Dans ce premier cas, la raison de la note supérieure est d’éviter de frapper la quinte à vide avec la basse.

Dans les cas N° 2 et 3, Bach utilise cette fois le tr italien. Nos oreilles d’aujourd’hui accepteraient volontiers la dissonance de la 9ème (sol) contre la fa# de la Basse. En revanche dans le cas N° 3 l’agrégat ré, fa, si, mi sonne très étranger au style baroque. C’est donc bien la note principale que Bach souhaite.
Dans le cas N° 4, les deux manières sont acceptables. Il faut donc avoir compris la distinction qu’il adopte entre les deux orthographes et se soumettre à sa volonté de répéter le ré.

Dans le cas N° 5, harmoniquement la note supérieure (mi) serait plus expressive. Il faut donc bien avoir compris ce qui précède pour respecter le choix de Bach, de répéter le ré#, avec d’ailleurs un point d’arrêt juste avant (rythme).
A propos de point d’arrêt, remarquez que les exemples 2 & 3 en sont pourvu avant les deux notes de la terminaison. C’est assez inhabituel dans l’œuvre de Bach. En revanche deux auteurs français le préconisent : André Raison et XXXX.
André Raison : Préface du Livre d’orgue de 1688

Désolé ! Dans ma mémoire il existe une autre table pour le point d’arrêt et je n’arrive pas à la retrouver ! à suivre… Si quelqu’un la voit… merci.
Bach utilise un autre moyen pour distinguer le tremblement qui commence par la note supérieure de celui qui commence par la note principale en indiquant tout simplement par une petite note (ou une virgule ( c ), le degré supérieur lorsqu’il souhaite que l’on attaque par la note supérieure.
Voici tout d’abord le Choral de la Cantate BWV 51

Dans cette première phrase, J.S. Bach nous propose un trille sur le ré avec terminaison écrite de toutes notes. (Attention le petit ré blanche est un ossia, issu d’une autre version, ne pas en tenir compte). Le mi donnerait un léger sentiment de 7e d’espèce (fa, la, do, mi), mais ce n’est pas insupportable. Néanmoins le ré qui va battre avec le mi accuse mieux l’accord 6/5 qui est demandé dans le chiffrage.
C’est la comparaison avec le cas N° 2 qui nous assure de sa volonté d’un trille commençant par la note principale.

Cas N° 2 l’appogiature est clairement demandée avant le trille. Sa durée est à l’appréciation de l’interprète. Il est clair que lorsque Bach souhaite la note supérieure, dans cette cantate, il l’écrit à l’aide de la virgule (c).

Les cas N°3 & 4 sont identiques au 1 & 2. Juste, la terminaison n’est pas précisée dans le cas N° 3 par rapport au N° 1 ; ce n’est pas parce-qu’elle n’est pas précisée qu’il ne faut pas la faire…. Surtout après l’avoir entendue une première fois. Nous verrons ce que Leopold Mozart préconise lorsque la note de résolution se trouve au dessus de celle du trille. Il indique que TOUS les tremblements courts qui se résolvent sur la note supérieure doivent être pourvus de leur terminaison ! J’anticipe sur ce que Leopold appelle les « tremblements tournés ».

Le cas N° 5 est un tremblement appuyé. L’orthographe en toute note renseigne sur la durée de l’appui : une noire. Le do fait partie de l’harmonie accord de la mineur avec retard de la 9ème (si) au continuo. (Ce sont les notes étrangères à l’harmonie qui sont écrites en petites notes ; c’est une des raisons pour laquelle il n’utilise pas le signe d’agrément du tremblement appuyé / Voir « l’Explication »). Remarquez la beauté de la dissonance du retard (si) contre la note principale du chant (do).
Les français recommandent de ne commencer les battements qu’après le deuxième temps et en ayant « enflé » le son sur la première.

Le cas N° 6 est très intéressant : en effet Bach demande un trille commençant par la note principale. L’harmonie est 6/5 barré en notation moderne, premier renversement de l’accord de septième de dominante. La comparaison avec les propositions précédentes suffit à se conformer à sa volonté. Mais essayez avec la note supérieure si (en l’appuyant un peu) et vous serez convaincu de la différence souhaitée par Bach entre note supérieure et note principale. En effet la dissonance contre le la du violon II est très désagréable. Dont acte.
N.B. la voix de soprano est écrite en clé d’Ut première !

Encore un cas très intéressant : N° 7 ; cette fois Bach demande la note supérieure par une appogiature sous forme de virgule. C’est donc clairement la note supérieure qui est demandée. L’harmonie de septième d’espèce (la, do, mi, sol) nécessiterait, a priori absolument la présence du la ; de même que précédemment, essayez le contraire de ce qui est demandé, enlevez cette appogiature et vous entendrez combien l’accord est plat ! Comme quoi il faut vraiment être très prudent pour bien saisir le raffinement de l’ornementation de J.S. Bach. Le seul raisonnement n’y suffit pas, il faut essayer et entendre.

Cas N° 8 : nonobstant le mi double croche de la fin du premier temps,(accent français en toute note ; noté par une petite virgule au XVIIe siècle) et le léger inconfort vocal qui résulte du mi blanche ré-attaqué par la même note, il est indispensable de commencer le trille par la note principale. En effet le mi est indispensable à la compréhension de l’harmonie : accord d’Ut majeur avec le ré retard de 9ème au violon II ! Le fa note supérieure défigurerait complètement le sentiment harmonique.

Enfin la preuve par neuf si besoin était : Cas N° 9 ; l’harmonie est bien un accord de sol majeur (Vte d’Ut). La note supérieure entrainerait une perception d’accord de sixte ( sol, si, mi) incompatible avec la cadence parfaite ! C’est donc bien la note principale qui est demandée et nécessaire.
Nous espérons vous avoir convaincu que J.S. Bach entend le tr par la note principale, et que dans cette œuvre (et bien d’autres, cantates en particulier), lorsqu’il souhaite la note supérieure il le précise.
Pour conclure avec cette Cantate BWV 51 voici le début du premier mouvement :

C’est un cas un peu délicat : lorsque Bach nous laisse orner tout seuls les cadences ! Bien évidemment il manque l’ornement dans le cas N° 1. Que choisir le tremblement note principale ou bien le tremblement français par la note supérieure. Mélodiquement la note supérieure serait plus « vocale ». Mais l’harmonie perçue serait un accord de quarte et sixte de dominante et contredirait le chiffrage de la basse continue 5 (sous-entendu ; lorsqu’il n’y a rien c’est 5). De plus nous aurions deux accords d’Ut majeur coup sur coup avec juste le balancement du 7/5 de la deuxième croche ; le premier temps et le deuxième 6/4 généré par les mêmes notes d’Ut majeur. De plus il est impossible de frapper do et mi contre le ré de l’alto. C’est donc bien un accord de sol majeur qui est nécessaire, donc un tremblement par la note principale.
Cas N° 2 : le trille de la trompette est évidemment note principale ; le la (surtout appuyé entraine la perception de l’accord de sixte de la mineur ! Contredit et dissonant avec le sol de l’alto…)
Nous espérons que cet article vous aura éclairé sur les choix à opérer quant aux trilles et tremblements dans l’œuvre de J.S. Bach.