Vocabulaire de la fugue

D’après « La Fugue »
de Marcel BITSCH & Jean Bonfils
Combre 1993

Caccia (chasse), Fuga (fuite)
FUGUE ; FUGA ; FUIR : « le thème semble fuir tout au long de l’œuvre ».

C’EST UNE FORME LIBRE EN STYLE D’IMITATION.

La fugue n’est en fait qu’un procédé de développement contrapunctique basé sur l’emploi généralisé de l’imitation, à partir d’un thème principal ou sujet. Aucune fugue de BACH ne reproduit un même schéma.
FUGUETTA (fuguette) : fugue de petite dimension.
FUGATO : sous-entendu stile fugato (style fugué) ou pezzo fugato (morceau fugué). Terme réservé à tout passage fugué intercalé dans un ensemble d ‘écriture harmonique. Lorsqu’il est de dimensions importantes, le fugato mérite d’être considéré comme une fugue proprement dite.
L’évolution de l’écriture en imitations et des formes qui s’y rattachent (motet, canzone, ricercare, fugue) s’est faite dans le sens d’une plus grande concentration de moyens. C’est une marche de la multiplicité vers l’unité.
Dans le Motet, l’écriture musicale est étroitement liée au verbe (à parole nouvelle, musique nouvelle).
La Canzone, d’abord simple transcription instrumentale d’une œuvre vocale, s’évade peu à peu du moule littéraire. L’écriture musicale libérée du texte devient autonome.
Le compositeur entreprend de rechercher (Ricercare) toutes les possibilités de développement et de combinaison purement musicales d’un thème donné. Au début, les différentes sections de l’œuvre sont indépendantes, puis elles tendent peu à peu vers l’unification.

Canon (règle), Fantasia (imagination), Capriccio (Caprice), Ricercare (rechercher).

SUJET :
Thème principal de la Fugue. Il revêt une importance primordiale pour le développement de l’œuvre. Il est exposé seul au début et s’arrête normalement lorsque la Réponse commence.
a) Type vocal (même dans la musique instrumentale) : courte mélodie en valeurs longues, écriture conjointe, petits intervalles, ambitus restreint. Ces sujets de type palestriniens ont souvent une origine grégorienne ou populaire, à moins qu’ils n’empruntent les premières notes d’un choral de la Réforme.
b) Type instrumental (très courant même dans la musique vocale) : longue mélodie utilisant des valeurs brèves et des notes répétées, écriture arpégée inspirée par la technique du clavier ou des instruments à cordes, grands intervalles, ambitus étendu. Souvent inspirés par la musique italienne (Corelli, Vivaldi).
Entre ces deux extrêmes, tous les types intermédiaires se rencontrent aussi bien dans les œuvres vocales que dans les œuvres instrumentales de Bach.
Les sujets longs sont formés de plusieurs incises mélodiques. On distingue alors la tête du sujet (premières notes) de sa partie centrale.

Les thèmes écrits en notes longues dégagent un profond sentiment de paix, de calme et de recueillement. De tels sujets appellent un ou plusieurs contre-sujets, voire un ou plusieurs nouveaux sujets en valeurs plus brèves. (Voir par ex. Fugue d’orgue en Fa M BWV 540 ou Mib M BWV 552)
Ces sujets sont très favorables à l’écriture canonique et aux strettes à 4 ou 5 voix.

Les thèmes écrits en notes rapides et égales sont chargés d’impulsion dynamique. Ils peuvent évoquer l’écoulement tranquille d’un ruisseau (Bach en allemand!) ou la tempête de l’océan. Ces sujets se passent très bien de contre-sujet ou alors celui-ci est réduit à sa plus simple expression. C’est l’écriture à deux ou trois voix qui leur convient le mieux.

Certains thèmes utilisent des rythmes variés et en opposition des mélanges de valeurs longues et de valeurs brèves. Toutes les combinaisons sont possibles.

REPONSE :
Le sujet (dux) et la réponse (comes) constituent l’embryon de la fugue. Une voix expose d’abord seule le sujet ; une autre voix lui répond en imitant le thème.

Réponse à la quinte : dans la fugue classique, c’est la réponse à la quinte qui s’est imposée (5te supérieure ou 4te inférieure)

Réponse plagale : parfois (pour des raisons de mutation difficile le plus souvent), la réponse se fait à la 4te supérieure (ou 5te inférieure). Elle porte alors le nom de réponse plagale. (voir fugue d’orgue BWV 565).

DU PROBLEME DE LA MUTATION DE LA REPONSE :
a) Réponse réelle : Lorsque le sujet ne module pas (ou ne module que de façon passagère à un ton voisin du ton principal), la réponse est absolument identique au sujet. Il s’agit de l’exposition du sujet au ton de la dominante. Il n’y a donc pas de « Mutation ».

b) Mutation tonale : soit un sujet de fugue en Ut mineur se terminant en Sol mineur (ton de la dominante). La réponse réelle commencerait en Sol mineur et finirait en Ré mineur. Dans ce cas la fugue ne cesserai de moduler, ce qui nuirai à l’unité tonale de l’œuvre. Pour cela on opère des changements d’intervalle dans la réponse pour retourner au ton principal. Ces mécanismes de mutation sont assez complexes et sont régis par des règles strictes. On distingue les mutations de tête des mutations tonales. Pour faire bref le principe de base est le suivant : Ce qui est tonique dans le sujet devient 5° degré (de la tonique) dans la réponse et inversement ce qui était dominante de la tonique au ton principal devient tonique. Par ailleurs, ce qui suit la dominante dans le sujet appartient au ton principal dans la réponse, afin de revenir au ton principal. Quelques exemples éclaiciront cet énoncé…

CONTRE-SUJET :
Il s’agit du second personnage de la fugue. Il apparaît en général contre la réponse (2° entrée du thème principal). Pour parler de contre-sujet, il faut normalement qu’il apparaisse au moins deux fois de manière similaire et au même endroit (rythmiquement) contre une autre apparition du sujet ou de la réponse. Il arrive qu’il accompagne le thème dans « l’Exposition », puis qu’il disparaisse. Il peut au contraire prendre une importance croissante ou bien seulement un de ses éléments.
En général il est de caractère opposé au sujet afin de le compléter rythmiquement ou mélodiquement.

CODA DU SUJET :
Parfois le Sujet se termine par quelques notes qui « débordent » sous la Réponse (Voir CBT I Fugue N° 2 en Ut mineur). On parle alors de Coda du sujet. Ces quelques notes peuvent être un élément moteur dans les Episodes libres ou Divertissements. Ces notes n’appartiennent normalement pas au sujet.
Cauda en latin : queue . « In cauda venenum ».

LE CORPS DE LA FUGUE :
Il s’agit de la première partie de la fugue.
a) EXPOSITION : elle consiste en l’apparition de toutes les voix de la fugue, (Trois pour une fugue à 3 voix, Quatre pour une fugue à 4 etc…). L’exposition est parfois suivie d’une CONTRE-EXPOSITION qui renverse l’ordre des entrées.
b) Les entrées aux tons relatifs au principal, qui sont le relatif et sa dominante, la sous-dominante et son relatif. Dans les fugues du CBT de Bach, il est courant d’entendre une quatrième entrée dans une fugue à trois voix avant qu’une nouvelle partie (de strette en général), n ‘apparaisse.
LE STRETTO :
Deuxième partie de la fugue, (en général). Section regroupant un ensemble de strettes ; généralement dans une fugue à 4 voix les strettes entrent deux par deux, par deux fois (4 entrées au total) avant de se resserrer un peu plus. On parle alors, par exemple, de stretto à la blanche puis de stretto à la noire.
( STRETTES : En italien Stretto (resserrer). Entrées en canon ; les sujets ou réponses entrent avant que le précédent ait terminé. En général l’auteur va des plus éloignées aux plus resserées).

STRETTO FINAL :
Dernière partie de la fugue, généralement et souvent sur pédale de tonique.

EPISODES TRANSITOIRES :
Les différentes expositions du sujet sont séparées par des épisodes transitoires. Simples CONDUITS de quelques mesures ou développements importants, ces épisodes sont de longueur très variable. Il arrive que ces épisodes transitoires soient parfois construits sur des éléments mélodiques totalement étrangers aux thèmes de la fugue. C’est alors qu’ils méritent le nom de DIVERTISSEMENT (donné à tort aux développements thématiques). Normalement, on ne parle d’épisode transitoire ou de divertissement, que lorsque l’exposition est terminée (trois ou quatre entrées à 3voix, 4 entrées à 4 voix etc.).
Il arrive que les épisodes transitoires prennent de plus en plus d’importance, jusqu’à presque en faire oublier le sujet (Fugue d’orgue dite Dorienne BWV 538 J.S. BACH).

MODULATIONS DE LA FUGUE :
La fugue module généralement aux tons voisins. On obtient ainsi des apparitions du thème au relatif, à la sous-dominante (et à son relatif) avant de revenir au ton principal. Ces modulations peuvent s’accompagner de strettes.
MIROIR :
Inversion des intervalles autour d’un axe horizontal (en général la médiante) : exemple en Ré mineur autour du Fa, (Ré La Fa Ré Do# Ré Mi Fa) devient (La Ré Fa La Sib La Sol Fa). Certaines fugue font apparaître une contre-exposition avec le sujet en miroir combiné avec des mouvements droits, ou entièrement en miroir (Fugue d’orgue en Ut Majeur BWV 547 par ex.).

RETROGRADE :
Mouvement rétrograde (ou écrevisse) : on énonce les notes en partant de la dernière vers la première. Avec l’exemple ci-dessus cela devient (Fa Mi Ré Do# Ré Fa La Ré). On peut évidemment conjuguer mes mouvements rétrogrades et miroirs…

AUGMENTATION :
Le thème est énoncé en valeurs plus longues. L’art étant de superposer évidemment le rythme normal avec son augmentation (Fin de la Fugue d’orgue en Ut M BWV 547, Variation Canoniques pour orgue BWV 769).

FUGUE DOUBLE OU TRIPLE :
Il arrive que l’on rencontre un deuxième ou un troisième sujet. Pour cela il faut que ces nouveaux thèmes soient « exposés » selon le procédé spécifique de la fugue (Sujet / Réponse autant de fois que de voix dans la fugue). Attention il arrive que le premier sujet soit exposé à 5 voix, le deuxième à 4 et le troisième à nouveau à 5 voix (Triple fugue en Mi b Majeur BWV 552 pour orgue). Si ces nouveaux thèmes ne sont pas « exposés », il s’agit en général de contre-sujets. Le sommet de l’art contrapunctique consiste évidemment à faire se superposer tous ces éléments dans la dernière partie de la fugue.

FUGUE MIROIR, FUGUE RETROGRADE, FUGUE CANON :
Jean Sébastien BACH nous a gratifié de quelques exemples mirifiques de Fugues dont la seconde reproduit exactement la première en inversant tous les intervalles (miroir) et en échangeant l’ordre des voix (Ex. : « L’Art de la Fugue »). Il a également donné dans « l’Offrande Musicale » des exemple de fugues canons et ou rétrogrades : elles sont présentées sur une seule voix (ou deux), charge aux interprètes de chercher la solution grâce à un indice donné en latin. Le premier canon est une fugue rétrograde, le premier interprète jouant le gauche à droite et le second de droite à gauche (de la fin vers le début). Titre : « Canon 1. a 2 cancrizans » et il n’y a qu’une voix d’écrite!

Je vous souhaite beaucoup de plaisir musical et intellectuel dans l’observation attentive de ces partitions, desquelles Mozart lui-même a dit « qu’il y avait beaucoup à apprendre »…